Si on parlait du goût de la tomate ?

Photo de référence

C’est curieux, on ne parle que très peu du goût de la pomme de terre, du concombre ou même de la pomme, mais il y a comme un fantasme du goût de la tomate. 

Ah, les tomates du jardin de Pépé, elles sont bonnes ! Rien à voir avec les tomates de supermarché !
Et voilà, on a en tête l’idée qu’autrefois les tomates étaient bonnes, et qu’aujourd’hui les vilains producteurs font exprès de cultiver de mauvaises tomates pour que la grande distribution ait la joie de nous vendre des cochonneries. 
Bon, mais en vrai, les choses ne sont pas si simples. On commence par un petit tour d’horizon des modes de production.

Les tomates du jardin

Ne rêvons pas trop sur les tomates que Pépé fait pousser dans son jardin, et qui sont si bonnes : en plein air dans le jardin, oui on peut avoir de bonnes tomates, mais il faut beaucoup de chance pour en récolter au mois d’août, et, si la météo n’est pas trop mauvaise, on pourra en avoir encore en septembre et un peu en octobre. 

Les tomates du jardin sont souvent malades
On commence par une photo pas terrible, mais les tomates du jardin finissent souvent comme ça… Photo de Harrison Haines provenant de Pexels

Car la tomate est fragile et très sensible aux maladies : le mildiou (maladie cryptogamique, des champignons, quoi), les pucerons (insectes), les nématodes (vers dans le sol), les bactéries et les virus (oui oui, les tomates aussi ont des virus), on en passe et des meilleures.  Les tomates de Pépé, qui sont « presque bio », ont probablement reçu de bonnes doses de bouillie bordelaise, voire d’insecticide.

Les tomates de plein champ

Les jardiniers du dimanche, d’accord… Mais les professionnels, les producteurs de tomates, qui sont outillés et qui ont les connaissances et l’expérience, pourquoi ne font-ils pas de tomates en plein champ ?  Mais si, ils en font. Mais seulement dans les pays méditerranéens, et quasi-uniquement pour la « transformation », autrement dit dans le but de faire des sauces tomates et autres ketchups. Pour ces usages, l’aspect de la tomate n’est pas très important.

La serre

Rappelons que quasiment toutes les tomates que l’on trouve sur le marché poussent sous serre, même celles d’Espagne, même celles du Maroc. Parce que la serre permet de gérer le climat, principalement l’humidité qui est le principal ennemi. Sous simple abri plastique aéré ou sous grande serre en verre, la tomate ne craint plus le mildiou, on n’a plus besoin de l’arroser tous les quinze jours de bouillie bordelaise toute bleue qui ferait mauvais effet sur les belles branches de vos tomates en grappes…

Une serre de tomates en pleine terre
Une serre où les tomates poussent en pleine terre

Pleine terre ou hors-sol

Une serre de tomate hors sol
Une serre de tomates « hors sol », plutôt intéressante sur le plan écologique, finalement : peu de mobilisation de surfaces, peu de maladies cryptogamiques, protection biologique intégrée, utilisation de bourdons pour la pollinisation, recyclage des solutions nutritives…

Pour protéger encore mieux leurs plants de tomates, les producteurs ont eu l’idée de les cultiver « hors sol », car les maladies sont bien souvent véhiculés par le sol. En théorie, on peut faire pousser des plantes sans terre, dans l’eau, à condition de leur apporter les éléments nutritifs nécessaires. Paradoxalement, cette culture que l’on appelle « hydroponique » était considérée comme un espoir écologique dans les années 1970… Les cultures de tomates réellement hydroponiques sont rares. Les producteurs préfèrent utiliser un support, laine de roche ou fibre de coco, sous forme de pains dans lequel un système de goutte-à-goutte apporte l’eau et les éléments nutritifs. 

La culture de tomate dans des pains de fibre de coco
Les racines poussent dans un pain de fibre de coco

Les besoins de la plante

Quels sont ces éléments nutritifs indispensables ? Ils sont simples et bien connus : de l’azote (sous forme de nitrate), de la potasse, de l’acide phosphorique. Il s’y ajoute du calcium et du magnésium, ainsi que quelques oligo-éléments (fer, manganèse, zinc…). 

Et le goût dans tout ça ?

Tomates multicolores

On dit que c’est la variété qui fait le goût, et non les conditions de culture. Une variété de type cornue des Andes sera fondante et de saveur douce, une marmande sera ferme et acidulée. Mais bon, on peut penser qu’une marmande qui a poussé en pleine terre aura eu à sa disposition un éventail d’oligo-éléments, de minéraux, plein de choses non identifiées, pas indispensables à sa croissance, mais qui feront que sa saveur, même si elle est toujours du même type, sera légèrement plus riche que la même marmande élevée en hydroponique. Pour illustrer cette idée, notons qu’en Espagne, il existe une région, le Parc Naturel de Cabo de Gata-Níjar, où les nappes phréatiques sont salées en raison de présence d’eau de mer. La saveur de ces tomates, appelées Cañada de Campo-Níjar, est vraiment différente. On sait aussi qu’en matière de vin, la variété du raisin donne la note générale, mais le terroir, la nature du terrain et les conditions de culture font la différence. Alors pourquoi pas en tomate ?
On peut en conclure que les tomates de pleine terre sont peut-être meilleures que les hors-sol. Mais bon, ça ne va pas être facile de faire une dégustation comparative vraiment objective.

Le goût du frais

J’ai souvent visité des serres de tomates, en groupe. Souvent, à la fin, le producteur fait goûter ses tomates… Et ça ne rate jamais : “Ah, qu’est-ce qu’elles sont bonnes ! C’est autre chose que celles qu’on achète en grande surface !” Oui mais non, ce sont ces tomates-là que vous achetez en grande surface. Alors, pourquoi sont-elles meilleures ? Deux raisons à cela :

  • On vient de visiter la serre, de parler avec les gens qui prennent soin des tomates, les récoltent… On est dans des conditions psychologiques optimales pour les trouver sympathiques.
  • Les tomates viennent d’être cueillies, elles sont toutes fraîches. Avez-vous déjà cultivé des laitues ou des courgettes de votre jardin ? Lorsque vous venez de les cueillir, elles sont délicieuses, exceptionnelles. Le lendemain, elles vous paraissent insipides. Elles ont déjà perdu cette fraîcheur extrême.
Branche de tomates

De plus, lorsqu’on sait que la tomate va devoir subir plusieurs jours de transport et de stockage, on la cueille avant maturité complète. Elle finira de mûrir dans le magasin ou chez vous, et c’est forcément moins bon qu’une tomate cueillie juste à maturité.

Les « long life »

À cela s’ajoute un choix qui était nécessaire, à un moment où la consommation de tomates explosait et où la grande distribution prenait des parts de marché grandissantes : il fallait que les tomates gardent un bel aspect longtemps après la récolte pour supporter les circuits logistiques parfois complexes. Il fallait des variétés dites long life. On a donc, très vite, sélectionné des tomates présentant ce caractère de longévité, sans trop se préoccuper des autres caractères, parmi lesquels la saveur.
Pendant une période, les tomates que l’on trouvait en supermarché étaient donc plutôt insipides.

Le frigo

On dit partout qu’il ne faut pas conserver une tomate au frigo, que ce passage au froid détruit leur goût. Mais j’ai entendu dire que des tests gustatifs avaient montré qu’il n’y a pas de différence, une fois les tomates revenues à température ambiante. Oui, je sais, ce « j’ai entendu dire » manque un peu de rigueur scientifique, mais bon, l’expérience n’est pas très difficile à faire, organisez une dégustation comparative chez vous et donnez-nous les résultats en laissant un petit commentaire à cet article…

Mais qu’est-ce qui fait le goût ? 

Ben oui, on parle du goût, mais c’est quoi, finalement, le goût de la tomate ?

  • L’aspect et la couleur : eh bien oui, ça compte, on ne déguste pas à l’aveugle. La taille varie de la tomate cerise jusqu’aux 3 kg de la beff ou de la big zac ; la forme est ronde, oblongue, plate, pointue, côtelée; la couleur la plus fréquente est le rouge, mais on en trouve des roses, jaunes, orange, de plus ou moins noires, des vertes qui pourtant sont mûres… Rien n’est plus appétissant qu’un mélange de ces couleurs !
Les formes variées des tomates
  • La texture : il y a des tomates très fermes, des tendres, des molles… On dit que les jeunes préfèrent les tomates croquantes, tandis que les plus âgés choisissent les tomates fondantes.
  • L’acidité : c’est une caractéristique essentielle du goût de la tomate. La tomate est naturellement acidulée, c’est ce qu’on aime parfois. Remarquons que les tomates fermes sont généralement plus acide que les tomates fondantes.
  • Le taux de sucre : il vient compenser l’acidité. Bien sûr, il ne faut pas que la tomate soit sucrée, car on ne s’attend pas à consommer un fruit. Mais la tomate ananas, légèrement sucrée, est très appréciée.
  • Les parfums, les arômes : là, on arrive vraiment à ce qui fait la subtilité. Ce sont des choses que l’on ressent, mais qu’il est difficile de nommer.

L’accompagnement

On entend beaucoup de choses sur le goût de la tomate. Ainsi, j’ai lu un rapport sur un test à l’aveugle, qui montrait que les tomates de type cœur de bœuf étaient jugées insipides. Or, les gens achètent tout de même ce type de tomates, qui rencontre même un certain succès. L’explication est dans la dégustation : si on goûte un quartier de tomate comme ça, sans rien, en effet, la cœur de bœuf n’a pas beaucoup de goût par rapport à des tomates plus fruitées, plus acidulées. Mais faites une dégustation comparative avec une très bonne huile d’olive et un trait de balsamique, le tout saupoudré de fleur de sel, et vous verrez que la cœur de bœuf l’emporte sur une marmande ou une cocktail. Pourquoi ? Parce que l’intérêt gustatif de certains aliments réside dans leur capacité à bien « prendre la sauce ».  Des aliments sans grande valeur gustative intrinsèque, mais qui sont un support gustatif pour d’autres aliments. On pourrait citer les pâtes, par exemple…

La cuisson

Le goût de la tomate cuite

Là, on parle de goût en pensant à la tomate consommée crue. Mais on mange aussi de la tomate cuite ! Cuite, la tomate change de goût : la texture est transformée, les sucres et les arômes se concentrent, certains parfums apparaissent… Attention, certaines variétés de tomates sont destinées à la cuisson. Si vous les consommez crues, elles peuvent être un peu fades et coriaces…

Les variétés

La tomate est un aliment relativement récent. On sait qu’elle a été ramenée d’Amérique du Sud au XVIe siècle, c’était alors un petit fruit, sans doute à peine mangeable, dont on se méfiait. Les Italiens ont vite été intéressés et ont sélectionné des variétés plus comestibles. Les premières variétés potagères apparaissent à la fin du XVIIe siècle. Il faut attendre le début du XXe siècle pour que la tomate se démocratise en France, elle se développe alors de manière fulgurante. La première variété hybride F1 est commercialisée en France en 1957.

Notre prochain article portera sur les principales variétés que l’on trouve dans le commerce, et l’usage qu’on peut en faire.

Sources :
Documentation personnelle
https://www.infos-tomates.com/divers
https://tomatologue.eu

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6 commentaires à propos de “Si on parlait du goût de la tomate ?

  1. Merci pour cet article. Il est très intéressant car il est très bien documenté et il tord le cou à beaucoup de clichés.
    Je profite de ce commentaire pour poser une question: je fais très souvent du gazpacho (donc j’en connais très bien le goût) et j’utilise, lorsque j’en trouve, des tomates variété Roma. Dernièrement, j’ai utilisé des tomates assez allongées et, au goût, il semblait que j’avais ajouté du concombre à mon gazpacho!
    Y aurait il une variété de tomates qui expliquerait cette curieuse expérience?

    1. Une san marzano, peut-être ? C’est une tomate longue qui n’est pas très bonne crue, mais excellent cuite. Je n’ai jamais remarqué qu’elle avait un goût de concombre, mais à la réflexion, c’est possible.

  2. Faites l’expérience que j’ai faite :
    Du même semis de tomate, plantez en 1/3 en terre acide, 1/3 en terre sablonneuse, 1/3 en terre argileuse
    Vous aurez 3 tomates différentes
    Les meilleures avaient poussées en terre argileuse

    1. Voilà une expérience intéressante, merci de l’avoir partagée ! Cela confirme bien que le terroir a une importance sur la saveur…

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