La soupe au caillou, c’est une vieille histoire à laquelle je fais souvent allusion lorsque je fais une improvisation de fonds de frigo. J’ai cherché cette histoire sur internet, mais à ma grande surprise il existe vraiment une recette de soupe au caillou ! Non non, nous, c’est pas de ça qu’on parle. Je vous livre donc ici, racontée de mémoire, la véridique histoire de la soupe au caillou.
C’est l’histoire d’un pèlerin, à une époque où il y avait des pèlerins. Ça se passe dans une contrée où les gens sont radins, non non, c’est pas chez nous.
Notre pèlerin est harassé de sa longue journée de marche, la nuit tombe, le froid monte, il a grand faim, il frappe à la porte d’une maison de ferme assez cossue, nourrissant quelque espoir à la vue de la fumée qui monte de la cheminée.
— Qui frappe, qu’est-ce que c’est ?
— Je suis un pèlerin, je voudrais un endroit pour dormir…
— Allez dans la grange, il y a de la paille !
— Pourrais-je avoir un bol de soupe avant de dormir ?
— Ah ben non, on n’a plus de soupe.
— Ah ? Même pas un petit fond de soupe ?
— Non, on n’a plus rien, et puis de toutes façons on n’avait pas grand’chose, on n’est pas bien riches.
— Ah ? Bon, eh bien, est-ce que je pourrais simplement chauffer un peu d’eau pour me faire une soupe au caillou ?
— Une soupe à quoi ?
— Une soupe au caillou, vous ne connaissez pas ? C’est juste de l’eau où l’on cuit un caillou.
Insensiblement, le maître de maison avait ouvert sa porte, se montrant de plus en plus intéressé… “Si je pouvais nourrir mes gens avec de la soupe au caillou, ça ferait de belles économies, les cailloux, c’est pas ça qui manque”, se disait-il.
— Germaine ! Mets un chaudron d’eau sur le feu pour le monsieur ! (vous avez remarqué, en ces temps-là, les femmes se prénomment Germaine et obéissent au doigt et à l’œil, et sans mot dire, aux ordres du maître de maison).
Le pèlerin sort un beau galet tout rond de son sac et le plonge dans l’eau.
— Un peu de sel, peut-être ?
— Germaine ! Du sel. Et dites, moi, Monsieur, c’est bon, la soupe au caillou ?
— Oui, c’est bon… enfin, avouons-le, c’est un peu fadasse, ce serait meilleur avec un oignon…
— Germaine ! Un oignon…
Le pèlerin épluche et coupe l’oignon que la femme lui apporte. Le maître de maison observe avec curiosité.
— Certains ajoutent des pommes de terre et des carottes…
— Germaine ! Des pommes de terre et des carottes !
Ce passage nous donne une indication de temps : l’histoire date d’après l’introduction de la pomme de terre en Europe. À moins qu’au fil du temps elle n’ait été transformée, au commencement il s’agissait peut-être de navets, allez savoir.
Toujours est-il que ça commence à sentir bon. “Ma parole, se dit le maître de maison en son for intérieur, mais ça marche, cette soupe au caillou, ça m’a l’air appétissant. Je vais bien noter la recette, ça va plaire aux valets de ferme.”
— Bien sûr, le fin du fin, c’est d’y ajouter un morceau de lard, poursuit le pèlerin.
— Germaine, un morceau de lard ! Et une saucisse, aussi.
Alors se répand une franchement bonne odeur dans toute la maison. Le maître de maison est enchanté, le pèlerin se réjouit, c’est cuit, il se sert sa soupe et se régale comme jamais.
— Mais j’adore la recette de la soupe au caillou ! Tu as noté, Germaine ? Tenez, Monsieur, voici un verre de vin pour vous remercier.
Bien sûr, la morale de l’histoire parle de radinerie, de générosité, de partage, et de victoire de l’intelligence sur la bêtise humaine.
Mais c’est aussi une histoire culinaire, finalement : parfois, lorsqu’on improvise une recette de fond de frigo, on part d’un truc insignifiant — on va dire par exemple des tiges de coriandre — on ajoute des choses, selon l’inspiration, selon ce qu’on a, et on finit par arriver à un plat somptueux, qui n’a pas grand’chose à voir avec l’idée de départ, une soupe aux allures thaï, pour finir notre exemple.
Bonjour;
J’ai ouï dire que cette recette a bien existé, pas avec un galet rond, mais un large et relativement peu épais. L’ébullition de la soupe soulevait et laissait retomber le galet qui écrasait ainsi peu à peu les légumes qui se glissaient dessous, ceux-ci diffusant mieux les arômes des légumes dans la soupe.
Ha ha ha, géniale cette histoire !
;)
Une auvergnate, fidèle lectrice et testeuse (testrice ?) de presque toutes vos recettes, vous remercie pour celle-ci qui circule bien ‘par chez nous ‘
Et surtout, merci pour l’humour bien dosé qui agrémente tous les articles !!!
Merci !
super ! c’est peut-être l’origine de la sopa de pedra portugaise ? Dans le temps, y plaçait-on aussi un vrai caillou? Dans la version « moderne » je n’en ai jamais vu, mais ça n’enlève rien à cette soupe somptueuse…