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Huîtres naturelles, diploïdes, triploïdes ?

Photo de référence

Les huîtres triploïdes, vous en avez entendu parler ? En tout cas, vous en avez sûrement mangé : ce sont elles qui nous permettent d’oublier les fameux « mois en R ». On en trouve toute l’année, d’ailleurs, car elles offrent aussi un avantage certain aux ostréiculteurs : elles grandissent plus vite.

Un lecteur, Alain, du site Manger la mer, nous envoie un message : “Je suis ébahi vous ne faîtes apparemment aucune différence entre les huîtres de laboratoires (triploïdes) et les huîtres naturelles nées et élevées en mer. C’est inconcevable. Merci de me donner votre position sur ce sujet.

Bon. Ce n’est pas trop le sujet de Cuisine à l’Ouest, qui parle, comme son nom l’indique, principalement de cuisine. Mais on aime bien savoir ce qu’on mange, quand même. Et nous avons publié une page sur l’huître, sensée faire rapidement le tour de la question, sans mentionner ces fameuses triploïdes. Mea culpa. Eh bien voilà, merci Alain, c’est réparé.

Un film documentaire sur l’huître triploïde

Pour ouvrir le débat, voici un film documentaire, L’huître triploïde, authentiquement artificielle, réalisé par Grégoire de Bentzmann et Adrien Tessier et dure 54 minutes.

Le film (magnifique, très belles images) offre au premier abord une démarche intéressante, puisque différents acteurs, pour ou contre, sont interviewés. Mais il faut bien dire que le commentaire est nettement à charge, joue sur la peur et impose sa conclusion.

Voici deux pages publiées par Ifremer qui traitent du sujet :

Ces deux pages sont moins sexy qu’un documentaire de télévision, bien évidemment.

Chez Cuisine à l’Ouest, on n’est pas scientifiques, mais on aime comprendre les choses et s’en faire une représentation simple et sans polémique. On vous la donne, vous en faites ce que vous voulez.

Que retenons-nous de ces lectures sur l’huître triploïde ?

  • N’ayons pas peur des mots : « triploïde » , ça fait peur, mais n’oublions pas que les huîtres « naturelles » sont des diploïdes, quelle horreur aussi !
  • Les huîtres « naturelles » sont sauvages, plutôt rares, difficiles à décoller de leur rocher. On va faire plaisir aux spécistes (ennemis de l’élevage) : les huîtres d’élevage, fussent-elles diploïdes, sont élevées en poches (du moins la plupart du temps), subissent une concentration et connaissent pas mal d’opérations humaines, depuis l’écloserie jusqu’à la récolte. C’est déjà une « manipulation » de la nature, comme toute culture et tout élevage.

    L'élevage des huîtres sur poches posées sur des tables, ici à marée basse
    L’élevage des huîtres sur poches posées sur des tables, ici à marée basse
  • L’élevage des huîtres, qu’elles soient diploïdes ou triploïdes, se déroule de la même façon, en mer. C’est l’obtention du naissin qui diffère : soit il est récolté en pleine mer, soit il est obtenu en écloserie par croisement.
  • L’agriculture et l’élevage s’appuient depuis toujours sur le progrès. On a toujours envie de faire mieux : la sélection traditionnelle effectuée par les agriculteurs ou les éleveurs consiste à garder les meilleurs spécimens (ceux qui sont bien gros, ceux qui donnent de plus beaux fruits ou grains, ceux qui résistent à une maladie, ceux qui présentent telle ou telle couleur…). En les faisant se reproduire entre eux, on a des chances de faire doucement évoluer son cheptel (ou son stock de graines) dans le sens désiré.
    Pour les triploïdes, patatras, ça ne marche pas ! Imaginons un ostréiculteur du siècle dernier, un petit malin qui observe désespérément ses huîtres en été, alors que ses ventes sont à zéro parce qu’elles sont laiteuses (remplies de sperme ou d’ovules, beurk, mais n’ayons pas peur des mots, on a dit !). Oh oh, se dit-il, en voilà deux ou trois qui n’ont pas de laitance, chouette, je vais les mettre de côté et m’arranger pour qu’elles se reproduisent entre elles. Mais voilà, comme on l’a vu, les triploïdes, ne produisant pas de laitance, ne se reproduisent pas, et la fameuse méthode millénaire de sélection fermière ne peut pas marcher !
    Ce sont les progrès de la connaissance de la biologie et de la génétique qui ont permis de maîtriser la production d’huître triploïdes. Pour faire simple : on prend comme mâle une huître tétraploïde trouvée dans la nature ou « fabriquée », on la croise avec une diploïde prise comme femelle (oui, l’huître est hermaphrodite, ne rentrons pas trop dans les détails intimes, on résume), et hop, on obtient des triploïdes. Ça se fait en laboratoire, c’est-à-dire en milieu confiné. Autre méthode, plus récente : on prend un ovule triploïde qu’on féconde avec un spermatozoïde haploïde (n chromosomes).

Je sens qu’on va vous perdre, là, moi-même je ne me sens plus très à l’aise. Revenons à des choses plus terre-à-terre : en culture végétale, ces progrès de la connaissance ont permis de généraliser les hybrides, qu’on appelle parfois F1 (on pourra en parler un jour si ces sujets vous intéressent).

La question est donc de savoir si ces « manipulations » génétiques qui n’en sont pas au sens « OGM » du terme sont une bonne chose ou non. Chez les plantes, les hybrides permettent entre autres d’obtenir des individus résistants aux maladies, et donc d’éviter d’utiliser des produits de traitement. Chez les clémentines ou chez les pastèques, les triploïdes n’ont pas de pépins. Chez les huîtres, les triploïdes grandissent plus vite et n’ont pas de laitance en été…

Bon, voilà, moi qui voulait être objectif, je crois bien que je me suis laissé aller à peut-être avoir l’air de sembler prendre éventuellement un peu parti… Mais bon, je respecte infiniment toutes les opinions, et le débat reste ouvert, avec grand plaisir, dans les commentaires ci-dessous.

Le débat lancé dans le film ci-dessus porte sur l’étiquetage obligatoire. C’est sûr que si on donne le choix au consommateur entre « huître nées et élevées en mer » et « huîtres triploïdes », personne n’hésitera bien longtemps. Mais si on propose « huîtres diploïdes » ou « huîtres triploïdes », bon, là on se rend bien compte que le consommateur n’ira pas chercher plus loin, et qu’il achètera plutôt du poisson pané. Alors ? Peut-être « nées en mer » vs « nées en écloserie » ? Le consommateur choisira alors selon la qualité visuelle et gustative.

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