Le potimarron n’est jamais très facile à couper, mais celui que j’avais acheté ce jour-là était particulièrement dur.
Je l’avais cuit à la vapeur, en tranches, avec la peau puisque je voulais en faire une purée. La peau du potimarron, c’est un grand avantage, cuit très bien, peut se manger telle quelle et se fond totalement dans la soupe ou dans la purée.
Mais pour ce potimarron-là, ce n’était pas le cas : la peau était très dure après cuisson, totalement immangeable. Pas grave, me dis-je, je vais l’éplucher avant de faire ma purée. Ce faisant — ça m’a pris un certain temps, c’était très chaud — un doute m’assaille : ça n’est pas normal. Je goûte : pas très bon, et même une nette amertume se révèle.
Bon, eh bien, je l’ai jeté, mon potimarron.
Pourquoi le jeter ?
Il se trouve que les courges — une grande famille dont fait partie le potimarron — se croisent facilement entre elles. Si une parcelle de potimarron est proche d’une parcelle de coloquintes — petite courge cultivée pour son aspect décoratif —, il se peut très bien qu’une abeille facétieuse dépose du pollen de coloquinte sur une fleur de potimarron.
Aucun problème pour le futur fruit, ce sera bien un pur potimarron.
Mais si le maraîcher décide de garder ce potimarron pour faire ses propres graines pour l’année prochaine, il obtiendra un croisement entre la coloquinte et le potimarron. Ça pourra donner une coloquinte au goût de potimarron, un potimarron au goût de coloquinte, ou quelque chose de très bizarre, nous n’allons pas entrer dans le domaine Ô combien passionnant mais très complexe de la génétique.
Bon, mais alors, nous, consommateurs, on s’en fiche, non ? Au pire, le pauvre maraîcher, croyant bien faire, ratera sa culture de l’année prochaine, c’est son problème.
Eh bien non, figurez -vous que la coloquinte est toxique ! Elle peut provoquer des troubles intestinaux parfois graves, comme l’explique le site de l’Anses, agence nationale de sécurité sanitaire.
Toujours selon le même site, il n’est pas rare de tomber sur une courge à l’aspect ordinaire, mais riche en cucurbitacine, la substance toxique en question. Cela arrive surtout dans les potagers familiaux, quand le jardinier amateur a voulu faire l’économie de l’achat d’un paquet de graines…
Les semences fermières en question
C’est le principe des semences « fermières » : le maraîcher produit ses propres graines plutôt que de les acheter à une maison semencière spécialisée. C’est tentant : c’est moins coûteux, c’est ultra-local, ça affirme l’indépendance du maraicher vis-à-vis de l’industrie.
C’est ce qui a pu se passer pour mon potimarron : le supermarché a probablement traité avec un maraîcher local peu informé des risques.
La morale de l’histoire ? C’est que l’industrie a parfois du bon. La production de semences de qualité exige de très grandes précautions :
- soit les plants sont cultivés en milieu fermé, les insectes pollinisateurs ne peuvent donc pas traîner par-ci par-là ;
- soit les plants sont protégées par des filets, aucun insecte ne peut y accéder, et les fleurs sont fécondées à la main.
Comment être sûr ?
la cucurbitacine est amère, on peut la repérer au goût, confirme l’Anses. Faites-donc comme moi : goûtez systématiquement, l’équivalent d’une cuillère à café n’aura pas de conséquences. Si vous sentez nettement l’amertume, jetez !
Les hybrides
Petit complément pour ceux qui veulent en savoir un peu plus : les hybrides F1 sont assez répandus en matière de courge. Il s’agit de croiser deux variétés de lignées pures qui possèdent des qualités complémentaires : par exemple, l’une a très bon goût et l’autre résiste bien aux maladies. On obtient une nouvelle variété qui, si tout se passe bien, a très bon goût et résiste bien (si on a l’inverse, c’est loupé, on recommence). C’est un travail minutieux et de longue haleine effectué par les maisons semencières, ce n’est pas de la manipulation génétique, c’est juste du croisement intelligent. Les graines coûtent cher, mais le maraîcher s’y retrouve car il gagne du temps et du rendement.
MAIS il y a évidemment un mais : il ne faut jamais conserver les graines de ces fruits F1, car elle ne donneront pas la même chose.
Les « enfants » de cette génération F1 pourront faire ressortir les caractères de leurs « grands-parents », on pourra donc obtenir un plant fragile qui donne des courges au mauvais goût, ou un plant résistant qui donne des courges au mauvais goût, ou un plant fragile qui donne des courges au bon goût, ou — une fois sur quatre si vous avez bien suivi — un plant conforme aux parents, résistant et qui donne une courge au bon goût.
Pour en revenir à notre sujet, c’est probablement ce qui s’est passé pour mon potimarron : l’un de ses « grands-parents » contenait probablement le gène responsable de la formation de cucurbitacine, gène qui ne se révèle pas dans la génération F1, mais qui peut très bien réapparaître si le maraîcher a voulu récupérer ses propres graines (génération F2).
Note pour nos lecteurs scientifiques : oui, oui, tout ceci est bien simplifié, voire simpliste. Cuisine à l’Ouest est un site de cuisine, de plus un peu à l’Ouest, j’ai voulu faire comprendre les conséquences que l’ignorance peut avoir dans nos cuisines. Pour davantage de rigueur, jetez un œil à l’article de Wikipedia sur les lois de Mendel.
Mais le potimarron, c’est généralement super bon ! >> Voir toutes nos recettes de potimarron
Très instructif, merci Pierre
Merci !
M E R C I
Beau dimanche à vous
Michèle
Merci pour cet éclairage sur la génétique botanique !
Mes explications sont un peu approximatives, mais en effet, mon but était d’apporter un éclairage, c’est l’essentiel.
Très intéressant !
D’une je me suis toujours demandé ce que voulais dire ce F1 sur les paquets de graines.
De deux, j’avais gardé quelques graines de tomates F1 qui au final n’ont rien donné de bien. Je comprend maintenant.
Merci.
Merci beaucoup de ce retour, très heureux de vous avoir apporté des infos utiles.
Super intéressant merci ! J’adore vos articles « conseils » en dehors des recettes classiques
Oh, merci, ça fait super plaisir ! Je recommencerai…