Le cabillaud, c’est le poisson frais ; la morue, c’est le même en version salée et séchée. Pourquoi ce succès de la morue ? C’est parce que la chair du cabillaud « prend » bien le sel. C’est une façon de conserver le poisson, c’est aussi une transformation qui présente un intérêt gustatif et culinaire.
Photo tétière : Viviane Monconduit – Pixabay
La grande histoire de la morue
C’est une tradition qui date d’avant même la découverte des fabuleux bancs de morue de Terre-neuve : on pêche la morue au Nord (elle ne vit qu’en eau froide), on la consomme au Sud.
Sans doute parce que les pays du Nord, qui pêchaient beaucoup de poisson, ont cherché un moyen d’en conserver le surplus, non consommé localement, et cherché des débouchés : l’Espagne, le Portugal, l’Italie étaient demandeuses de ce poisson qui se conserve si bien.
La pêche à la morue a toujours existé en Atlantique nord, en mer d’Islande, en mer du Nord, en mer de Norvège… Lorsque les bancs de Terre Neuve ont été découverts, dès le XVIe siècle, les techniques ont évolué. À Terre-Neuve, deux modes de conservation étaient mis en œuvre par les pêcheurs :
La pêche sédentaire pour la morue sèche
Les trois-mâts de quarante à quatre-vingts hommes d’équipage se rendaient à Terre-Neuve au printemps et mouillaient dans une crique. Des sécheries était installées à terre. Chaque jour, les chaloupes partaient pêcher et revenaient à terre où les pêcheurs préparaient et séchaient le poisson sur les plages de graves. Ils ramenaient en fin de campagne, en septembre-octobre, de la « morue sèche », qui se conserve longtemps, destinée aux pays du sud.
La pêche errante pour la morue verte
La pêche errante est plus classique : le bateau et ses chaloupes pêchaient au large, le poisson, non séché, était salé à bord, conservé dans les cales, et s’appelait alors « morue verte ». Cette morue se conserve moins longtemps, elle est plutôt destinée au marché français.
Après 1850, les ports bretons de Paimpol et de Binic se tournent vers la pêche en Islande. Elle nécessite de plus petits bateaux, des goélettes rapides comme on sait les construire à Paimpol. Elles pratiquent la pêche errante et débarquent donc de la morue verte, simplement salée, plus souple que la morue sèche. Cette morue d’Islande arrive plus tôt sur le marché et se vend donc plus cher. Elle est surtout destinée au marché intérieur.
Pour une meilleure idée de ce que représentait ce métier, le plus dur et le plus dangereux au monde, voici la bande annonce du film d’Alain-Michel Blanc, Mémoires de brumes 2, qui ressemble des interviews d’ancien terre-neuvas et des images d’archives. Impressionnant !
La morue aujourd’hui
Ce poisson a été tellement pêché pendant 500 ans qu’il a failli disparaître. Le nombre de captures s’est véritablement effondré dans les années 1980. Pour éviter sa disparition, le Canada a instauré un moratoire en 1992, et l’Europe a instauré des quotas.
Aujourd’hui, les principaux pays producteurs de cabillaud sont la Norvège, l’Islande, l’Irlande, le Royaume-Uni. La Norvège produit le stockfish, qui est du cabillaud non salé, séché sur les grèves du nord du pays à des températures froides qui permettent la conservation.
Parole d’expert : Le Grand Léjon
Le Grand Léjon, créé en 1930 à Binic, est aujourd’hui la dernière entreprise de Bretagne à saler la morue.
Un savoir-faire traditionnel que tient à perpétuer son directeur actuel, Henri Montagnier : “Jusque dans les années quatre-vingt, il y avait toujours à Binic une activité de pêche à Terre-Neuve. Aujourd’hui, nous achetons du cabillaud frais en Norvège et en Irlande, pendant la saison qui se déroule de février à mai. À ce moment, le cabillaud se rapproche des côtes. Après mai, il est en période de reproduction, et sa chair n’est plus au top. Nous choisissons des labels de pêche durable. Nous effectuons le salage de manière traditionnelle, au sel sec, en différentes découpes. C’est un travail physique, les cabillauds sont de grosses bêtes de 25 kg ! Il faut compter 21 jours de maturation, au terme desquels nous pouvons commercialiser la morue en poissonnerie. C’est de la morue non séchée, que nous appelons morue verte.”
“Notre morue est réalisée sans autre additif que le sel. Certains fabricants ajoutent un stabilisant, qui permet de garder davantage d’humidité, et donc de poids. Pour le hareng, c’est la même chose ! De même, la morue dessalée ne se conserve que trois jours. La morue vendue dessalée contient donc un conservateur… ”
“La consommation de notre morue traditionnelle n’est donc pas très simple : il faut la dessaler 24 heures avant de la cuisiner. C’est un frein, et la consommation est en baisse, elle se maintient sur les régions traditionnelles de pêche, autour de Bordeaux et de Saint-Malo à Paimpol.
Pour pallier cette baisse de consommation, nous travaillons d’autres produits, comme le flet de hareng, le haddock, le maquereau fumé, mais aussi des produits élaborés comme les rillettes de poisons et crustacés, les soupes de poissons, les bisques de crustacés, les tapas, les plats préparés…”
Morue mode d’emploi
Aujourd’hui, ce n’est plus la conservation qui justifie le séchage ou le salage du cabillaud pour en faire de la morue. Aujourd’hui, c’est le goût qui justifie cette opération. Le cabillaud salé subit une « maturation », transformation un peu magique qui donne cette chair à nulle autre pareille.
Dessaler la morue
La morue doit être dessalée avant de la préparer. Pour cela, il faut d’abord la rincer sous l’eau courante pour la débarrasser du sel de surface, puis l’immerger dans une quantité d’eau suffisante, que l’on change cinq ou six fois, pendant 24 heures. Elle est alors prête à l’emploi.
>> Pour plus d’infos, voir notre article Comment dessaler la morue
Comment pocher la morue
On a l’habitude de pocher la morue avant toute préparation culinaire. Cela permet de terminer de la dessaler et aussi de la réhydrater.
Le mieux est de déposer la morue dans une grande casserole d’eau froide, de mettre sur le feu, de porter à frémissement. On coupe alors le feu, on couvre et on laisse cuire ainsi dix minutes.
Quelle que soit la méthode utilisée, ne faites surtout pas bouillir, la morue durcirait.
Cette phase de pochage n’est pas absolument obligatoire, tout dépend de la recette. Notamment si vous utilisez de la morue verte (vous la reconnaissez au fait qu’elle est encore un peu souple, alors que la morue sèche… est sèche !).
Sources et ressources
Il y a tant à dire sur l’histoire de la pêche à la morue… Si vous voulez en savoir davantage, voici quelques ressources dans lesquelles nous avons pioché nos informations.
L’excellent rapport de l’Office scientifique et technique des pêches maritimes, La Pêche à la morue, publié en 1927, disponible en téléchargement sur le site de l’Ifremer
La revue Repères Océan N° 11 de 1995 sur La pêche morutière française de 1500 à 1950 par Jacqueline Hersart de la Villemarqué, pdf à télécharger sur le site de l’Ifremer
Bretagne Culture Diversité propose en ligne un dossier thématique sur l’histoire de la morue à Paimpol
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